Voko a rencontré une jeune artiste plasticienne qui amène le public à s’interroger sur la place de la nature, du vivant dans l’art. Sa dernière installation en décembre 2020 dans le parc de la Brunetterie à Orgeval intitulée « Intimité » dévoile une autre facette de cette artiste multiple et met en avant son désir de s’ancrer professionnellement dans ce territoire des Yvelines.
Voko : Première question, comment vas-tu ? Pas trop difficile d’être une artiste au temps du Covid ?
Lélia : (Rire…) Oh si, l’avenir est incertain, plusieurs expositions ont été annulées, plusieurs projets reportés, c'est très difficile de se projeter, c'est comme si tu avais raté une marche, tu ne sais plus où tu en es et quoi faire. Mais le premier confinement a eu un effet plutôt positif sur la création puisque j’ai pu expérimenter avec du temps, j'ai pu concevoir des projets artistiques sans objectif précis. Le deuxième confinement de novembre était également bénéfique mais différemment car j'avais un objectif précis, celui de concevoir mon installation au parc de la Brunetterie à Orgeval.
A travers différentes expériences dans le Sud-Ouest et le Jura, j'ai eu la chance d'aborder tous les côtés du spectacle vivant, la production, la communication, l'administratif - pour voir comment s'organisait un spectacle en coulisses. Puis, j'ai vu l'annonce pour Blues sur Seine en 2009.
V. : Comment en es-tu arrivée à l’art plastique ?
L. : Avant mes études supérieures, j'avais l'habitude d'utiliser des supports et moyens différents, notamment le dessin. Lorsque je suis entrée aux Arts décoratifs de Paris, après une préparation d'Arts Appliqués, j'ai découvert la scénographie, le travail de l'espace, une manière d'appréhender l’espace en immersion totale. Le travail en section scénographie m'a tout de suite parlé, c'est très varié et nous utilisons des matériaux différents. Suite à ça, j'ai fait différents stages dans l'optique de développer l’utilisation de ces matériaux (taille de pierre, travail du bois, menuiserie, serrurerie...)
V. : De la scénographie à la sculpture, peux-tu nous expliquer le cheminement ?
L. : Le point de départ a été un projet pour la ville d'Angers. Il s'agissait de proposer une sculpture monumentale. Il ne s'agissait pas d'un projet d'art appliqué mais purement d’art plastique, le but était de créer une pièce qui puisse vivre toute seule par la suite, en l’occurrence 3 sculptures à partir de 3 arbres quasi entiers (un pommier, un marronnier et une souche de chêne). Des œuvres qui comme nous pouvons le voir sur la photo mixent le bois avec l'acier, un travail sur l'hybridation entre matière vivante et non vivante.
(Ndlr : 3 ans après, son œuvre « Fagaceae Rubigo » a vécu une inondation, des changements climatiques mais elle s'adapte et s'intègre dans un tout).
V. : Tu as travaillé pour des parcs, quel est ton rapport à la nature et comment cela se traduit dans ton art ?
L. : L'espace est important, les pièces doivent s'ancrer dans leur environnement. Le rapport à la nature est devenu ma ligne de travail.
Mon Mémoire d'étude aux Arts décoratifs était en lien avec l’œuvre de l'écrivain norvégien Tarjei Vesaas « La barque le soir ». Dans nos rencontres avec le vivant sous toutes ses formes il y a des choses qui ne se verbalisent pas et qui se vivent d’une autre manière que ce que nous vivons dans nos sphères sociales.
V. : Tu vies et travailles dans les Yvelines, est-ce important pour toi de garder un lien avec le territoire ?
L. : J'adore avoir l'opportunité de bosser dans les Yvelines. J'ai grandi sur le territoire, j'ai donc un regard particulier. J'aime exposer à Paris et pouvoir collaborer avec d'autres artistes et des galeristes parisiens mais l’art contemporain qui pourrait se retrouver dans les Yvelines se retrouve éclipsé par la vie culturelle très dense de Paris. Pendant le premier déconfinement, j'ai ouvert mon atelier aux gens des Yvelines et énormément d’habitants de mon village (Ndlr, Montainville) mais également des villes aux alentours sont venus. Des curieux qui habituellement ne se déplacent pas jusqu'à Paris, c'était donc très important pour moi de faire découvrir mon univers aux Yvelinois.
Il s'avère que suite à l'ouverture de mon atelier, l'adjointe de la Culture d'Orgeval Madame Geneviève Kolodkine m'a proposé le projet du parc de la Brunetterie.
V. : Parle nous un peu plus de ce projet.
L. : J’ai travaillé la notion de « promeneur visiteur » dans un espace vivant. Mon œuvre lumineuse s'intègre à l'arbre et le met en lumière. Le promeneur visiteur y voit ce qu'il veut, s'y attarde ou pas mais l'installation lui permet une redécouverte d'un parc qui n’est plus seulement un jardin aménagé mais un espace peuplé d’êtres vivants qui échangent entre eux. Ces cercles lumineux sont une image poétique de ce que pourrait être une intimité de l’arbre ou entre arbres.
V. : Tu as fait un échange universitaire au Canada, tu es partie en résidence en Argentine, de quelle manière le voyage joue un rôle dans tes créations ?
L. : J'aime voyager dans des pays faiblement peuplés tels que le Canada, la Patagonie, la Mongolie. Des pays avec de grands espaces où le rapport à la nature est complètement différent de ce qu'on vit en France. Le voyage permet de ressentir les choses différemment, mon travail est basé sur le ressenti. J'ai pu utiliser de nouveaux matériaux et avoir une nouvelle vision de l'art et de la nature.
V. : Quels sont tes projets pour les semaines, mois, années à venir ?
L. : Je suis en train de travailler sur un projet pour « Annecy Paysages », un festival qui expose de l'art contemporain autour de la nature. J'y exposerai deux installations : une cosignée avec des paysagistes et un projet en solo qui est plus engagé autour de la gestion forestière, en lien avec l'habitat. Vous pourrez découvrir cette exposition durant tout l’été 2021 avec une inauguration début juillet.
J’ai également un projet d'expo dans une galerie dans le Marais. Dans un futur plus lointain, j'aimerais travailler la céramique. J'aime me réinventer et découvrir de nouveaux moyens, de nouvelles manières de créer et de concevoir. Je refuse d’être mise dans une case, je souhaite pouvoir me renouveler à chaque projet et chaque œuvre d’art.
J'aime bien faire des pièces qui sont vivantes, qui ne servent à rien à part procurer de l'émotion.